Et un article tiré de Libé; le Spreepark se visite encore!
Visites guidées
Les samedis et dimanches,
à 13 heures et à 16 heures,
en allemand seulement.
15 euros les deux heures.
Réserver sur
www.berlinerspreepark.de.
L'article dans sa version papier se trouve dans le numéro de Libération du 7 Décembre 2013, p.62-63, avec de très belles photos (dont un taco de Mirapolis!)
Spreepark : l’attraction décor
SÉBASTIEN CARAYOL 6 DÉCEMBRE 2013 À 19:21 (MIS À JOUR : 9 DÉCEMBRE 2013 À 09:23)
Abandonné depuis 2002 sur fond d’imbroglio administratif et de trafic de drogue germano-péruvien, le parc forain de l’ex-RDA fait aujourd’hui le bonheur des «urban explorers».
Il suffit d’oser. Oser s’enfoncer dans les entrailles de Plänterwald, le poumon vert de l’ex-Berlin-Est, sur la rive Sud de la Spree. Sans s’occuper du ciel plombé où une formation de hérons dessine une flèche comme pour enjoindre à rebrousser chemin. Au milieu de cette forêt bolcheviko-maléfique, une clairière donne sur un interminable grillage rouge. Il protège une grande roue rouillée de 45 mètres de haut, donjon irréel qui tourne mollement au gré du vent dans de longs grincements rhumatiques. La scène est raccord avec ce que l’on est venu chercher : ce qu’il reste du seul, unique et très «kusturicien» parc d’attractions de l’ex-RDA, 29 hectares construits en 1969 et abandonnés en 2002 à la suite de rocambolesques péripéties pour la famille qui l’avait racheté en 1991.
Pour le «Kulturpark Plänterwald», renommé «Spreepark», tout avait pourtant commencé comme dans un conte de fées : au sommet de sa gloire, dans les années 80, il attirait jusqu’à 1,7 million de visiteurs par an, occultant le pourtant sehr fun Mémorial soviétique du parc de Treptow voisin. En 1989, réunification, fermeture, redistribution des cartes. Deux ans plus tard, le forain Norbert Witte et sa famille, venus de l’Ouest, le récupèrent en vue, disent-ils, de «l’occidentaliser». Mais Witte, démiurge têtu, pense trop grand alors que la fréquentation commence à plonger. L’Allemagne boude ses attractions ? Hop, il décide que le nouvel eldorado du parc sera au Pérou, où il commence à envoyer certains de ses manèges par conteneurs.
Marigot psychotrope. Mais à Lima, rien ne se passe non plus comme prévu. Il faut arroser de pots-de-vin pour tout et n’importe quoi, les attractions fonctionnent quand elles le veulent… Acoquiné avec une poignée de locaux louches, Witte trouve la solution de génie : il convainc son fils de faire passer de la coke dans les mâts du tapis volant, qu’ils renvoient à Berlin. Ils se font choper. 187 kilos. Witte père écopera en 2004 de quatre ans de prison en Allemagne, son fils de vingt ans - qu’il purge encore - au Pérou. Œil noir et moustache «lech-walésienne», Witte assure qu’il pourrait rouvrir demain si la ville ne lui mettait pas des bâtons dans les roues. Oubliant qu’aux yeux de cette dernière, l’ardoise de 11 millions d’euros laissée à la fermeture du parc et le crash de son tapis volant au nez plein de poudre jouent légèrement en sa défaveur…
Abandonné par les vivants, le Spreepark a continué sa lente métamorphose en marigot psychotrope d’où émergent, hébétées, quelques reliques de métal et de carton-pâte. Aujourd’hui, l’automne tapisse les allées du Spreepark de feuilles jaunes et rouges et les grands huits clapotent dans une mare recouverte de lentilles d’eau. Au détour d’un sentier dans la forêt, une bouche géante bigarrée est prête à avaler un train fantôme aux rails dévorés par une nature ayant crânement repris ses droits. A côté, un T.Rex est renversé, près d’un diplodocus décapité. Sur les plans d’eau alentour, les barques-cygnes de plastoc ont été stoppées net, envahies par les herbes folles avant d’avoir pu atteindre le squelette de feu le bateau pirate. La salle de jeux ? Sous son toit éventré n’y trônent plus que les silhouettes d’un simulateur de conduite Sega années 90 et une table de hockey. Plus loin, une maison de pain d’épices pastel aux portes barricadées est barrée d’un tag : «Was anyone ever home ?»… Ce Spreepark de 2013 semble sorti des meilleurs épisodes de Scooby-Doo, et l’on ne serait pas surpris de tomber le clown-killer imaginé par Stephen King dans Ça.
Currywurst. Vraie balade onirique weirdo. Pas étonnant que ses dédales soient souvent utilisés pour des tournages de films, de pubs ou pour des concerts impromptus. Et encore moins étonnant que les Witte aient fini par y relancer un microbusiness, surfant sur la vague d’urban explorers curieux qui n’avaient de cesse d’infiltrer le lieu, officiellement fermé. Il y a trois ans, ils ont donc embauché des vigiles et organisent eux-mêmes, chaque week-end, des visites guidées de leur grand rêve avorté. Mais sans Norbert Witte, qui vit sur place dans une caravane mais ne sort jamais et à qui ni son ex-femme, Pia, ni ses filles ne parlent plus. L’une d’elles assure le tour le samedi et vend le dimanche des saucisses qu’elle fait cuire dans un petit kiosque à l’entrée du parc, sur un immense Holzkohlegrill, ces grills à charbon du cru.
Le dimanche, c’est Christopher, guide professionnel et fan du parc depuis qu’il y venait enfant voir les clowns, qui déballe avec un débit mitraillette toutes les tribulations de la famille, régalant les touristes d’anecdotes parfum Currywurst. Tiens, allez, une seule : il y a quelques années, une grand-mère SDF de 80 ans s’est introduite de nuit sur le site. Nostalgique, elle avait décidé de dormir dans une nacelle de la grande roue. Le vent s’est levé, la roue a tourné, et la mémé s’est retrouvée coincée tout en haut jusqu’au matin. «Quand les secours sont arrivés, Pia Witte a été si émue de son histoire qu’elle l’a invitée à boire le café», conclut le GO.
Intarissable Christopher… Sa besace regorge d’histoires aux traits plus ou moins grossis où l’on se rend compte à quel point l’ex-Kulturpark Plänterwald a compté dans la psyché RDA. Peu d’étrangers ici : même avec le tour guidé, cette tranche de fête foraine post-apocalypse n’est guère partagée avec l’extérieur. Pour les novices, voici l’occasion de se griser d’un week-end en RDA sans y avoir jamais vécu. Dans son petit kiosque, sur fond de variétoche d’auto-tamponneuse années 80 et sous son coquet bonnet à pompon, Sabrina Witte sourit en voyant le groupe du jour rentrer affamé de la visite : «C’est sûr qu’on aimerait bien rouvrir. Mais on ne se débrouille pas si mal, pour un parc abandonné !»